

Les Chypriotes-turcs manifestent contre l'autorisation du voile au lycée
Plusieurs milliers de Chypriotes-turcs ont défilé vendredi à Nicosie-Nord pour protester contre la récente autorisation du port du voile dans les lycées publics, une réforme dénoncée par ses opposants au nom des traditions laïques locales.
"Il s'agit d'un symbole religieux. Un enfant de moins de 18 ans ne peut pas prendre cette décision de son plein gré, à mon avis", lance à l'AFP Dila Ensari, 15 ans, qui participe au rassemblement avec sa mère, enseignante dans une école publique.
Une centaine de syndicats avaient appelé à ce rassemblement dans la partie chypriote-turque de la capitale divisée pour exiger l'abrogation de la nouvelle règle.
En mars, le conseil des ministre de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) - autoproclamée en 1983 et reconnue uniquement par Ankara - a réformé le code de discipline scolaire pour autoriser le hijab au lycée, laissant les collèges décider si faire pareil ou pas.
Le foulard, s'il est porté, doit être simple, de couleur unie et assortie à l'uniforme scolaire, selon la nouvelle réglementation.
"Dans ce pays, il y a ceux qui ont des croyances religieuses et ceux qui n'en ont pas. Ceux qui vont à la mosquée et ceux qui n'y vont pas. Ce sont des choix individuels", a défendu lors d'une émission matinale le président de la RTCN, Ersin Tatar.
Le changement, qui a déclenché un levée de bouclier de la part des partis d'opposition, des milieux enseignants et des syndicats, a été décidé après un incident relayé sur les réseaux sociaux en mars dans une école de Nicosie-Nord, où une lycéenne s'était vue refuser l'entrée à cause de son hijab.
Sur la vidéo, la jeune fille, un foulard bleu sur la tête est avec son père devant les portes de l'établissement, engagée dans une discussion houleuse avec ce qui semble être la direction tandis que les autres élèves entrent en classe.
Les opposants à la réforme ont accusé le gouvernement de politiser le système éducatif et de porter atteinte aux valeurs de laïcité.
- Le risque d'une "confrontation" -
"Faire une exception sur les symboles religieux dans les écoles publiques est contraire à la laïcité et menace le bon développement des enfants", s'insurge Burak Mavis, à la tête du syndicat des enseignants de la RTCN.
"Les moins de 18 ans n'ont pas la capacité de faire leurs propres choix, c'est une erreur de penser qu'un choix idéologique et symbolique comme le foulard soit librement voulu", ajoute-t-il à l'AFP.
Même son de cloche chez Sara, une enseignante de 30 ans présente à la manifestation et qui a refusé de donner son nom complet par crainte de représailles.
"Nous sommes pour une éducation laïque. Si l'une de mes élèves veut porter un hijab après 18 ans, je serai là pour protester en faveur de son droit à le faire", lâche-t-elle.
Plus de 10.000 personnes avaient déjà participé à une manifestation à Nicosie-Nord le mois dernier, selon M. Mavis, rassemblant des leaders du principal parti d'opposition, le Parti républicain turc (CTP), et d'autres groupes de gauche.
"Avec cette réglementation, on est sûr de déclencher un débat de société voire une confrontation à propos de l'éducation laïque et des libertés individuelles", a fustigé sur Facebook Tufan Erhurman, le leader du CTP.
Majoritairement musulmans, les Chypriotes-turcs s'identifient largement à une pratique sécularisée de l'islam.
Le foulard est rarement porté, la consommation d'alcool courante pour beaucoup et les plus pieux ont tendance à réserver leur pratique religieuse à la sphère privée.
La population originaire de l'île se distingue en ce sens des habitants venus de Turquie, volontiers plus conservateurs et religieux, et qui seraient plus nombreux selon certaines estimations.
Le débat n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui qu'a connu la Turquie en 2013 après la décision de lever l'interdiction du foulard pour les lycéennes.
Dans les établissements de la République de Chypre, grécophone, reconnue internationalement et membre de l'UE, les élèves peuvent porter le foulard et d'autres signes religieux.
G.Moser--SbgTB